Tribune de soutien dans Le Monde

Une tribune de soutien à la mobilisation contre l’installation du bâtiment Total à Polytechnique a été publiée dans Le Monde le 7 mars 2020. Le texte est reproduit ci-dessous.

Les signataires : Roger Balian, X1952, Académie des sciences ; Yves Bamberger, X1966, Académie des technologies ; Jean-Pierre Bourguignon, X1966, professeur honoraire à l’Institut des hautes études scientifiques (IHES) ; Alain Lipietz, X1966, ingénieur des ponts et chaussées, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ; Michel Spiro, X1966, président de l’Union internationale de physique pure et appliquée (IUPAP) ; Bernard Perret, X1971 ; Alain Grandjean, X1975 ; Jean-Charles Hourcade, X1975, Académie des technologies ; Alexandre Moatti, X1978, ingénieur du corps des Mines ; Antoine Georges, X1980, Académie des sciences, professeur au Collège de France ; Jean-Marc Jancovici, X1981 ; Yves Bréchet, X1981, Académie des sciences ; Michel Lepetit, X1981 ; David Thesmar, X1992 (économiste) ; Jean-Philippe Vert, X1992, ingénieur des Mines ; Thomas Philippon, X1996, professeur à l’université de New York ; Benoît Leguet, X1997 ; Matthieu Lequesne, X2013 ; Clara Vergès, X2013.

Tribune : « Il faut déplacer le centre de R&D de Total à l’extérieur du campus de Polytechnique »

Un collectif d’anciens élèves de l’École polytechnique demande à Patrick Pouyanné, président-directeur général de Total, dans une tribune au « Monde », de renoncer au projet d’implantation de son entreprise au sein du campus, contraire au principe de neutralité de l’établissement.

Depuis sa création en 1794, l’École polytechnique a su évoluer pour s’adapter à son temps. L’École a ainsi noué des partenariats avec des acteurs privés et fait appel à la générosité des anciens élèves, dans le cadre des efforts faits pour compléter les financements publics, toujours plus contraints, tout en garantissant pour l’École une autonomie indispensable à son développement et à son attractivité.

Ces évolutions n’ont toutefois jamais remis en cause l’identité de l’École : « donner à ses élèves une culture scientifique et générale les rendant aptes à occuper, après formation spécialisée, des emplois de haute qualification ou de responsabilité à caractère scientifique, technique ou économique, dans les corps civils et militaires de l’État et dans les services publics et, de façon plus générale, dans l’ensemble des activités de la nation » (article L. 675-1 du Code de l’éducation).

Il en va tout autrement du partenariat que l’École polytechnique vient de signer avec le groupe Total, qui prévoit l’implantation de la direction recherche et innovation du groupe et de ses 250 salariés en plein cœur du campus, au milieu des lieux de vie des élèves, à quelques pas de leurs logements, de leur cantine ainsi que de leurs salles de cours.

Ce n’est pas un partenariat comme ceux conclus avec EDF ou Thalès, dont les centres de recherche sont situés à l’extérieur du campus. Total bénéficierait d’une situation unique : son centre de R&D ferait partie intégrante du quotidien des élèves et aurait vocation à être un lieu de vie pour eux (cafétéria, salles de travail, conférences). 

L’École polytechnique deviendrait ainsi la seule grande école ou université au monde à accepter des salariés d’un groupe privé en aussi grand nombre au sein de son campus. Imaginerait-on un centre de R&D de Free au milieu de Telecom Paris, de Monsanto sur le campus d’AgroParisTech, de Pernod-Ricard dans une faculté de médecine ou de Nexter à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr ?

Il est dans l’ordre des choses qu’une entreprise comme Total développe des stratégies visant à renforcer son attractivité auprès d’une population de candidats potentiels. Mais un établissement d’enseignement supérieur de référence doit maintenir sa neutralité vis-à-vis des industriels. Cela est d’autant plus fondamental pour l’École qu’une partie de ses élèves sera amenée à mettre en œuvre les politiques publiques s’imposant au secteur privé, notamment dans le domaine de l’énergie.

Ce projet n’est stratégique ni pour l’activité de R&D de Total, ni pour le financement d’un enseignement de qualité dans le secteur des énergies. Il constitue tout au plus une opération immobilière, ce qui n’est pas la vocation de l’École polytechnique. Nous demandons donc à Patrick Pouyanné de renoncer à ce projet exorbitant : il faut déplacer le centre de R&D de Total  à l’extérieur du campus, là où sont installées les autres entreprises, sur le plateau de Saclay.

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Pour en savoir plus sur ce projet : www.x-total.fr